Lo Còr de la Plana est devenu au fil de trois albums - salués par la critique, les professionnels et le public - l'un des ensembles de référence de la création musicale occitane contemporaine. Constitué de chants religieux, à danser ou politiques, son répertoire apparaît comme un véritable engagement. Ethnosphères s’est entretenu avec Manu Theron, fondateur et directeur artistique du groupe qui se produira lors du festival Les Nuits du monde.
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(Propos recueillis par Alexis Toubhantz)
Manu Theron, les ADEM ont eu la chance de vous accueillir à de nombreuses reprises à Genève, dans des configurations variées, tissant avec vous des liens privilégiés. Un souvenir marquant ?
J’évoquerais volontiers des discussions passionnantes et passionnées avec l’équipe des ADEM et des habitants du quartier des Grottes (quartier dans lequel les ADEM animent un de leurs deux centres musicaux NDLR). A l’époque, en 2015, les Grottes s’étaient dressées contre l’extension de la gare Cornavin qui menaçait de détruire de nombreux immeubles d’habitations et de dénaturer l’esprit du quartier. Le caractère naturellement frondeur des habitants s’était exprimé par une opposition virulente, mais constructive et démocratique, qui avait finalement eu raison des projets des spéculateurs.
Comment reliez-vous cet épisode aux activités du Còr de la Plana ?
J’évoque régulièrement cette anecdote avec mes compatriotes, à Marseille ou ailleurs, comme un bel exemple de mobilisation citoyenne au service d’un quartier, de ses habitants et de sa mémoire. Comme vous le savez, Lo Còr de la Plana tire son nom d’un quartier emblématique de Marseille, celui de la Plaine, en bute lui aussi à la pression des spéculateurs et au phénomène d’embourgeoisement propre aux centres urbains. Lo Còr de la Plana se sent bien sûr très concerné par les combats des habitants du quartier pour la défense de sa mémoire et de son identité populaire. J’ai d’ailleurs composé une chanson spécialement dédiée à ce combat, un chant de ralliement utilisé depuis par les habitants lors de leurs rassemblements publics.
Ce dernier exemple illustre bien la manière dont la vie politique et la sociologie urbaine de Marseille irriguent au quotidien le champ d’investigation et le répertoire du Cor de la Plana…
En effet, en tant que chanteur, pédagogue et animateur du Còr de la Plana, je considère qu’une partie de mon travail consiste à susciter la prise de conscience par les Marseillais, et plus généralement les habitants des territoires du pays d’Oc, de leur responsabilité vis-à-vis de leur histoire et de leur culture. Cette prise de conscience représente à mes yeux un des leviers nécessaires à l’action politique, et au combat contre les forces qui travaillent au discrédit et à la destruction de notre culture, éminemment populaire, dans le sens le plus noble du terme. Dans l’atelier de chant provençal que j’anime à Marseille depuis 25 ans, j’expérimente au jour le jour un dispositif ouvert et accessible (3 euros le cours) au service d’un travail de mémoire collectif et intergénérationnel. Avec mes complices du Còr de la Plana, nous cherchons à constituer un répertoire pour les Marseillais, à mettre en valeur les langues du pays d’oc (et plus généralement celles du bassin méditerranéen NDLR), la créativité des habitants et leur imaginaire. Bref, autant d’outils pour accompagner et inspirer des projets associatifs et institutionnels, engagés pour faire émerger une société plus juste et plus solidaire. La récente victoire aux élections municipales à Marseille d’une coalition rose-rouge-verte contre une équipe sortante corrompue et dévoyée nous montre que nos efforts peuvent porter leurs fruits.
Le dernier projet discographique du Còr de la Plana remonte à 2012, avec le désormais fameux disque Marcha !. Un nouvel album est-il actuellement en gestation ?
Avec ses accents anti-impérialistes, anticoloniaux et anticléricaux, Marcha ! met en valeur les chants de lutte politique écrits par des syndicalistes marseillais de « l’époque héroïque » (1848-1871). De nombreux titres de l’album, notamment l’emblématique Le libertat, seront bien évidemment au programme de notre prochain concert à Genève. Mais il est vrai que Lo Còr de la Plana travaille actuellement sur un nouveau projet discographique qui aura comme fil conducteur le boucan, le « bordel », bref les manifestations les plus explosives du bruit et une exaltation de leur caractère subversif ! - tout un programme, jamais très loin d’un projet politique… (rires). Les premières répétitions sont prévues pour l’hiver prochain, l’ensemble devant entrer en studio à l’automne 2021 pour une sortie de l’album au printemps 2022.
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Discographie :
Es lo titre 2002 Nord Sud (épuisé)
Tant deman 2007 Buda / Universal
Marcha ! 2012 Buda musique / Universal
Les deux derniers albums sont disponibles sur les principales plateformes de streaming.
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Pour aller plus loin :
Retrouvez Manu Theron dans un entretien au long cours enregistré par l’équipe du TAP (Théâtre auditorium de Poitiers) en 2013. L’artiste engagé revient sur la vocation du groupe, ses sources d’inspiration ancrée dans l’univers méditerranéen, de Barcelone à Naples en passant par Alger :
Un extrait de « Mezzo Voce », émission musicale de Via Stella (la tele Corsa) qui met en scène le Cor de la Plana dans une de leur très belle composition : La Noviòta
(Réalisation : P. Rognoni)
Un autre exemple de la curiosité et de la générosité de Manu Theron, en concert avec la merveilleuse chanteuse Françoise Atlan, chère au public des ADEM, et Pierre Laurent Bertolino, vièle à roue, sur le titre A Dio santo, chant traditionnel judéo-espagnol. Extrait d’un concert donné en 2014 à la Cité de la musique Marseille (Prise de vue et montage : Axelle Schatz)
Fabrice Contri
Confronté à une crise sanitaire qui s'installe dans la durée, les Adem ont choisi d’emprunter la voie d’une diffusion numérique en "streaming" pour leur festival d’hiver 2021 Μousiki ! Musiques et danses de Grèce. Intermédiaire précieux entre notre structure, les artistes et le public, le numérique nous permet, envers et contre tout, de maintenir des liens sociaux et même d’en créer de nouveaux. Tout en reconnaissant le potentiel du numérique, et la place grandissante qu'il est amené à prendre dans nos activités, cet article s'efforce de rappeler en quoi la captation et la diffusion de concerts par le prisme des outils multimédias ne peut être qu’accessoires dans le domaine qui est le nôtre, celui des musiques et danses du monde.
Alexis Toubhantz
L’été dernier, Ethnosphères magazine est allé à la rencontre de Tassilo Jüdt, auteur de l’identité graphique des ADEM depuis 2009. Celui-ci nous a reçu dans son atelier de Veyey, sur la Riviera vaudoise, une pièce lumineuse et chaleureuse, à son image. Retranscription d’une conversation riche et animée, autour de son parcours personnel, son métier de graphiste-illustrateur et la relation féconde qu’il a tissée avec les ADEM depuis près de 12 ans.
Angela Mancipe
À l’occasion de la parution de l’édition 33 des Cahiers d’ethnomusicologie, dont le dossier thématique se penche sur les rapports entre musique, agressivité et conflit, Ethnosphères magazine vous propose un avant-goût de ce nouvel opus, qui illustre la multiplicité de regards qu’ouvre un tel sujet et la contemporanéité de ses problématiques.
Photo : Sisa Calapi
Ana Maria Villamizar
Le trio Barlovento est composé des jeunes et talentueux musiciens Josefa Silva, Jorge Pacheco et Paloma Martin. Il était au menu de l’émission Zanzibar sur l’antenne de la RTS-Espace 2 le 15 janvier 2021. La conversation qui suit est le fruit d’une entrevue sympathique avec Jorge et Josefa, fondateurs de Barlovento, par une journée ensoleillée du mois d’octobre dernier sur la plaine de Plainpalais à Genève. Dans les lignes qui suivent, Jorge et Paloma nous transmettent leur vision de la musique populaire latino-américaine et nous font part de leur conviction du pouvoir fédérateur de la musique.